Le RH paradoxe

Avec l’appellation Ressources Humaines il y a l’union de deux termes parfois difficiles à faire co-exister. Les Ressources désignent les moyens dont on dispose, la part Humaine est liée à la compréhension sensible de ce qui anime les personnes. 

L’ambiguïté

C’est toute l’ambiguïté et la difficulté de cette fonction RH qui nécessite de trouver une juste position pour être reconnue tant du côté de ses commanditaires, que sont les dirigeants des organisations, que des salariés, forces vives et moteurs essentiels de l’entreprise qu’elle doit accompagner

Pour comprendre la fonction RH il mérite de revenir sur son histoire. La fonction RH est apparue au 19ème siècle avec l’ère industrielle pour assurer la productivité des ouvriers. A l’époque de Taylor et de l’organisation scientifique du travail sa principale mission est de veiller à l’augmentation de la croissance et au rendement dans les usines, en organisant et en segmentant le travail entre exécutants et concepteurs / contrôlants. Cette vision très hiérarchisée et parcellisée a longtemps fait figure de modèle et de terrain d’exercice pour les gestionnaires du travail.

Un grand changement

Avec la première guerre mondiale on voit apparaitre les responsables du personnel pour prendre en compte les pénuries de main d’œuvre, organiser le travail, amorcer les premiers efforts de fidélisation des employés, gérer les conflits. La part administrative de la fonction RH est encore largement prépondérante.

L’avènement de la sociologie et de la psychologie va venir ensuite éclairer la prise en compte du facteur Humain. S’appuyant sur les études du comportement on commence à considérer comment l’ambiance d’une entreprise peut influer sur la productivité des salariés. Les théories d’Elton Mayo mettent en évidence l’impact du sens donné au travail, de la bonne intégration, de la marge d’autonomie sur la motivation. La dimension managériale s’étoffe et les premières notions de leadership apparaissent.

La création de la fonction “Ressources Humaines”

C’est dans les années 1970 seulement que la fonction Ressources Humaines va prendre de l’ampleur. Et, au-delà des tâches administratives qui lui sont dévolues (gestion de la paie, des effectifs, des relations sociales… ) elle conquiert un rôle tactique en intégrant dans son périmètre la prise en compte de données de moyen terme avec la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. La société s’individualisant, la fonction RH s’adapte en mettant en place des outils d’évaluation et de mesure de résultats pour élaborer des parcours professionnels. Avec la montée du chômage, le désengagement des collaborateurs s’installe. Il faut désormais trouver des leviers de rétention et de fidélisation des personnes.

L’avènement des Ressources Humaines

Depuis les années 1990 le rôle des RH est devenu crucial pour garantir la bonne marche de l’entreprise en s’assurant de l’employabilité des salariés, de l’adéquation de leurs compétences avec les besoins de l’organisation à court et à moyen terme, de leur appartenance à l’entreprise et de leur implication pour répondre aux objectifs communs et assurer la performance. La DRH, en parallèle, a commencé à faire valoir une place stratégique dans le pilotage de l’entreprise

La défiance

Le désengagement des salariés s’est accentué ces dernières années, accompagné parfois d’une certaine défiance vis-à-vis de leur employeur et sont apparus les problèmes liés aux risques psycho-sociaux. 

On a vu des vagues de suicides, de dépressions, de burnouts émerger dans certains groupes, mettant en évidence des modes de gestion centrés sur la rentabilité, l’optimisation des ressources, au point de laisser de côté et même de bafouer les considérations élémentaires de reconnaissance et de respect de l’individu. 

Les gardes fous

En conséquence, les lois ont renforcé les obligations des employeurs à assurer la sécurité physique et mentale des employés, mais il est clair que l’image des RH dans cette période en a été entachée. On a vu apparaitre le «RH bashing» reprochant aux RH de ne pas s’occuper des gens, d’être exclusivement l’exécutant des volontés des dirigeants, d’être ««le fossoyeur» en charge de licencier ou de faire des plans sociaux.

Mon expérience

Je connais bien le monde des RH pour y avoir pendant longtemps exercé dans de grands groupes. Je sais combien ce métier s’inscrit par essence et par définition comme une fonction complexe à l’interface de multiples objectifs parfois contradictoires surtout quand il implique la totalité de la fonction. Il y a un paradoxe évident quand on est dans la RH, dans cette position qui vise à mettre en place et faire appliquer des modalités, règles, outils, programmes pour un collectif dont nous faisons partie Ceci renvoie à la question de l’objectivité et du recul nécessaire dans cette fonction.

Il n’est pas toujours simple d’avoir à statuer dans des phases de crises et cela suppose un vrai courage relationnel de se positionner sous pression, de manière juste, équitable, respectueuse avec de la hauteur de vue. 

Les RH peuvent, comme tout un chacun, avoir peur de perdre leur emploi dans certaines circonstances ou vouloir être reconnus par leur direction et parfois accéder aux demandes, pas toujours éthiques, de certains patrons vis-à-vis des salariés ou encore se comporter comme de simples exécutants sans toujours prendre assez en compte l’impact humain des décisions prises. De fait, œuvrer dans les ressources Humaines, c’est être capable à la fois de répondre aux besoins de l’organisation, plus ou moins simples à gérerrer selon les contextes, tout en en étant le gardien du seuil des lois sociales, de l’éthique, du développement des collaborateurs. 

Les leviers de motivation

Pour faire face à l’effritement grandissant de la confiance dans l’entreprise et particulièrement quand elle est grande, pour retenir les salariés «motivés», les RH ont cherché de nouveaux leviers permettant de favoriser l’épanouissement au travail. 

Au-delà d’accompagner le développement professionnel, certains RH ont amorcé des réflexions plus poussées autour de la qualité de vie et du bien-être. 

On a vu apparaitre des ateliers de sensibilisation aux RPS, des cours de yoga et de mindfulness, de relaxation…, des aménagements de l’ergonomie de travail. Certaines entreprises sont allées jusqu’à créer de nouvelles fonctions de Chief Happiness Officer, en charge de maintenir émulation et bonne ambiance au travail. 

La question de la pertinence de ce courant autour du bonheur au travail a été largement soulevée, comme celle des moyens qu’on lui alloue et c’est un vaste débat. 

Pour autant, il demeure évident que les RH doivent se positionner sur ce sujet devenu crucial, au minimum en tant que garant du climat social et du droit à exercer son travail dans de bonne conditions et en mettant en place de vraies mesures de développement des managers à accompagner leurs équipes.

 La crise COVID

Tout récemment la crise COVID a contraint les DRH à s’adapter à de multiples contraintes (déploiement généralisé du télétravail, mise en œuvre de protocole sanitaires, gestion du chômage partiel, accompagnement du management à distance… ). 

Tous témoignent du fait d’une énorme surcharge de travail dans cette période, qui les a obligés à passer en surrégime. 

Beaucoup de responsables RH avec lesquels j’ai été en contact ont vécu une accumulation de missions sous stress et une charge notoirement accrue, surtout dans les petites structures, en se retrouvant dans une obligation précipitée de mettre en place de nouvelles mesures sur des sujets à multiples facettes : administratives, logistiques, sociales, organisationnelles, relationnelles et bien sûr techniques en instaurant une dimension distancielle, devenue brutalement impérative.

Les DRH dans cette période difficile ont dû, plus que jamais, jouer un rôle pivot dans les organisations à côté de la direction. Dans une récente étude de l’ANDRH, 89% des DRH interrogés déclaraient être membres de la cellule de crise pour traiter des conséquences du coronavirus.

Ce positionnement de «business partner», qui est devenu impérieux ces dernières années s’est probablement renforcé avec cette crise. De nombreux DRH ont dû dernièrement trouver les meilleures options pour permettre autant que possible de maintenir l’activité des salariés dans les meilleures conditions possibles.

Alors quelle place pour les RH demain ?

Au-delà des difficultés engendrées par cette crise qui perdure, il se dessine une opportunité réelle pour la fonction RH : celle de trouver une place centrale dans l’organisation pour donner du sens aux transformations qui s’annoncent. 

Dans un contexte particulièrement incertain qui a amené de nombreuses personnes à prendre du recul sur la valeur travail et sur ses modalités, les enjeux de transformation vont être nombreux à court et moyen terme. Il est probable qu’il faille retravailler les éléments de cohésion sociale avec l’installation du télétravail, et en corollaire s’interroger sur une nouvelle culture managériale, celle de la confiance, de l’autonomie et de la responsabilisation. 

En parallèle, il se profile que de nombreux métiers risque d’évoluer, de se modifier, de disparaitre et d’autres d’être créés notamment avec l’avancée des évolutions techniques et du digital. Cela obligera sans doute à repenser la manière d’évaluer non plus des compétences standards des personnes pour un poste mais d’identifier leur potentiel de manière fiable. 

Un nouveau défi face à l’émergence de l’intelligence artificielle.

Il restera cependant un aspect non digitalisable où les DRH pourrons rester souverains : le rapport à l’homme et à l’Humain.

Florence Jary, Fondatrice d’Axomega-Care, Professeur à l’Ecole de Psychologues Praticiens.

Ref: MAG RH N°14 , 2021

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