Et si le Digital était vraiment au service de l’Humain ?

Le monde se digitalise de plus en plus chaque jour avec l’arrivée de nouvelles technologies pour structurer les organisations et développer leur productivité.
La crise du COVID 19 a d’ailleurs mis en lumière le recours incontournable aux nouvelles technologies pour faire face aux contraintes organisationnelles du contexte. Aussi efficaces et rapides que soient les outils numériques pour gérer les tâches ils interrogent sur leur portée au niveau de la dimension Humaine et nous amène à nous questionner sur leur juste place :

Et si le Digital était vraiment au service de l’Humain ?
Le digital c’est quoi ?

« Digitalis », c’est en latin l’épaisseur d’un doigt. En langue Française le digital évoque les doigts qui courent sur un clavier. Le quotidien dans le monde actuel est rythmé pour nombre d’entre nous à cet exercice de nouvelle virtuosité…. Au-delà, en Anglais « digit » signifie numérique.

Concrètement le numérique s’appuie sur les données qui servent l’informatique et traitent l’information, mais en fait le digital englobe bien plus que cela : l’utilisation de toutes les nouvelles technologies et par extension tout l’écosystème de communication qui l’accompagne, les réseaux sociaux, la modélisation en 3D, l’intelligence artificielle….

Le digital : un outil mondialiste ? 

La digitalisation et le numérique marquent le début d’une nouvelle révolution industrielle au XXIème siècle, après celles de la machine à vapeur au XVIIIème siècle, celle de l’électricité au XIXème siècle, et celle de l’informatique dans les années 1970.

Le digital nous impose une transformation sur tous les plans et oblige à modifier nos modes de travail, de pensée, et nos pratiques.

« Depuis plusieurs années, la révolution digitale concentre l’attention de toutes les entreprises et de tous les gouvernements. Au départ technologique, cette disruption est en fait beaucoup plus profonde. Elle est sociale parce qu’elle bouleverse nos interactions à la fois entre individus et individus et organisations : toute interaction doit être directe, fluide, rapide, plaisante et surtout pertinente. » *Stéphane Mallard, « Disruption ».

Le digital en entreprise

Au niveau de l’entreprise, la digitalisation a radicalement modifié nos usages ces dernières années. D’abord en permettant un accès plus rapide et plus large à l’information comme synonyme de gain de temps et d’argent : accès aux informations RH par l’intranet et les réseaux sociaux de l’entreprise, e-learning, télétravail…

Plus spécifiquement nous assistons à une transformation de la fonction des Ressources Humaines. En premier lieu, l’ensemble des processus RH s’automatisant (gestion de la paie, des absences, gestion des arrêts maladie, gestion et animation de l’intranet/RSE, gestion prévisionnelle des départs, gestion des pics d’activité… ), le socle de base de « la gestion du personnel » s’ouvre à une réalisation par des tiers ou par les entités des métiers opérationnels.

Ainsi, la plupart des salariés bénéficient aujourd’hui, en self-service, d’une capacité d’accéder à tout moment aux informations utiles pour leur gestion administrative, à avoir une plus grande visibilité sur l’ensemble des projets de l’entreprise, à pouvoir interagir avec les autres dans le monde entier, à travailler et à se former à distance.

coopération digitale
La plus-value du digital

On peut facilement lister les avantages majeurs que permet la digitalisation des outils et processus RH.

Tout d’abord les modes de communication sont rendus plus fluides avec une meilleure exploitation de toutes les compétences et connaissances disponibles, en évitant les déplacements coûteux et chronophages. Avec l’émergence des outils de travail collaboratifs, les frontières s’effacent. Les réseaux sociaux d’entreprise permettent aux équipes de communiquer en temps réel, d’être plus réactives, de se coordonner plus efficacement. L’intention est d’accroitre l’efficacité et la coopération.

Avec l’émergence de l’intelligence artificielle*, les processus s’automatisent pour recruter, gérer les carrières et les compétences des salariés. *« capacité donnée à une machine d’aider l’homme à résoudre des problèmes complexes qui apprend et s’améliore de manière autonome » (Cuillandre, 2018).

Par exemple, certains groupes industriels ont développés des chatbots (agents conversationnels) pour répondre à leurs collaborateurs sur divers sujets, de la gestion de leur planning en passant par leurs droits à la formation professionnelle ou encore leurs congés. D’autres ont recours à ces mêmes chatbots pour informer les candidats, les sélectionnent sur les réseaux sociaux avec une des mots clès CV, voire tentent l’utilisation de robots pour les entretiens d’embauche. L’entreprise se dote de systèmes de « matching » par analyse sémantique des référentiels métier et profils des collaborateurs pour faciliter les parcours de carrière. Autant d’avancées soutenues par les nouvelles technologies qui facilitent les tâches opérationnelles des RH.

Avec le recours au télétravail, la relation à l’espace-temps change. Le travail à distance que de nombreux salariés ont expérimenté pour la première fois durant le confinement, est un marqueur des nombreuses possibilités offertes par la digitalisation avec la réduction du temps passé dans les transports, le stress et la fatigue qui en découlent.

 

Les risques du digital

Pour autant, on voit se dessiner les risques du tout numérique, exacerbés ces derniers temps par la crise du Covid 19 qui a obligé violemment un nombre de travailleurs, pas toujours préparés à cela à y recourir systématiquement. On voit bien les paradoxes se renforcer : Le digital qui a créé une culture de l’instantanéité oblige à une réactivité permanente face au flux d’information (et à fortiori pour ceux qui travaillent à l’international). Le travail distanciel impose un rythme soutenu. En hyper sollicitation, les salariés enchainent les réunions, les réponses aux emails, les lectures de notifications et évidemment la réalisation de leurs missions. Le risque de submersion est réel avec ses dérives (risques psychosociaux, burn-out) qui font l’objet de nombreux débats et articles.

La digitalisation qui ouvre le champ de la communication et abolit les frontières, semble en même temps diminuer les échanges en présentiel, même quand les salariés se trouvent dans les mêmes locaux, du moins les contacts informels s’appauvrissent, les interactions humaines spontanées aussi. Au niveau des RH elle-même, le recours systématique au digital peut engendrer l’impression qu’il n’est plus possible d’être vraiment accompagné par les personnes en charge des Ressources Humaines ou par son manager.

De nombreuses questions s’ouvrent quand ces changements de modalités de travail se font « à marche forcée », quand cette quête de performance au travers d’un recours au tout digital fait oublier l’essentiel : le rôle de l’Humain dans l’entreprise.

Jusqu’à présent, ce sont des règles et des processus qui ont indiqué la trajectoire de la création de valeur de manière rationalisée. Mais il semble que cela a étouffé la capacité des collaborateurs à être créatifs et agiles, contrairement aux injonctions que l’entreprise leurs donne, un paradoxe de plus.

Un défi pour la RH ?

On le voit bien, plus que jamais, le grand défi des ressources Humaines est de s’envisager dans un nouveau positionnement au sein des organisations, centré sur l’appui auprès des managers du pilotage stratégique, de l’accompagnement du changement et du développement d’un environnement professionnel épanouissant pour les salariés, ce qui passe par la reconnaissance de leurs compétences et de leur motivation, par une plus grande autonomisation, et le développement d’une culture collaborative.

Pour une entreprise sur trois, le télétravail est désormais ancré dans les habitudes et seules 8% des entreprises disent en être seulement au stade de la réflexion. Dans ce contexte, le système pyramidal des entreprises ne peut que changer. Il faut créer une symétrie des attentions ou on pense à son collaborateur autant qu’à son client.

De plus, le collaborateur est aujourd’hui inter-relié à une organisation verticale (sa structure hiérarchique dans l’entreprise), à une communauté interne horizontale (par exemple via un même métier, des projets communs), à des communautés professionnelles externes via les réseaux sociaux. La porosité entre l’interne et l’externe est totale et les limites de l’entreprise sont dépassées. On ne peut logiquement plus définir les collaborateurs d’une entreprise comme étant seulement ceux qui travaillent dans les locaux de l’entreprise avec un statut de CDI.

Dominique Turcq (Docteur en sciences sociales et en management), postule que le management demain devra s’adapter aux attentes nouvelles des collaborateurs et aux nouveaux enjeux : économie du don, relations de la confiance, partage nouveau des pouvoirs et des rôles. 

Le collaboratif sera demain le principal avantage compétitif. 

C’est lui qui favorisera l’engagement des collaborateurs, contribuera aux gains de productivité, à l’innovation. * RH Info : Qu’est-ce que digital signifie vraiment ? Pascal Baratoux 23/09/2016

« Pour 9 DRH sur 10, le rôle de manager est impacté par l’introduction du digital : il est ainsi amené à évoluer loin des normes et repères habituels et à se réinventer avec la transformation digitale. Les organisations attendent de leurs managers qu’ils accompagnent cette transformation en prenant la posture de coach et de chef d’orchestre entre différentes équipes projet et en animant un portefeuille de compétences.» *  Transformation digitale de la fonction RH » © Dunod, 2019

Une entreprise à la fois plus digitale et plus humaine est l’enjeu majeur qui se dessine pour les DRH dans les années à venir. Selon le journal du net (JDN) : « 79% des Français souhaite pouvoir s’entretenir avec une personne afin de résoudre un problème ou obtenir un conseil ». Le digital se doit donc bel et bien de rester au service de l’humain et non l’inverse. Le tout digital est un mirage qui met en exergue le fossé de tout automatiser et déshumaniser pour faire plus vite et moins cher. Or les prises de décisions justes ainsi que les solutions stratégiques ne peuvent, aujourd’hui encore, être exécutées que par l’intervention humaine et requièrent un minimum d’attention, de sensibilité à l’autre et de réflexion.

Pour Jacques-François Marchandise, directeur général de La Fing (un think tank qui étudie les transformations numériques) tout dépend de nous. « Nous avons le choix de l’usage que nous faisons du numérique, des robots, de l’intelligence artificielle dans nos organisations : pour aider les hommes et les femmes, renforcer le capital humain qui est notre vraie richesse, plutôt que pour nous remplacer ou nous servir ».

La période actuelle a permis de replacer l’humain au premier plan et a mis toutes les entreprises face à leurs lacunes, leurs faiblesses et leurs contradictions. Si les conséquences de cette crise sanitaire à court terme semblent peut-être négatives, on voit à plus long terme apparaître leurs bénéfices secondaires. Elles peuvent être amplement positives pour les organisations qui sauront se servir des avantages du digital à bon escient, pour rendre le travail plus efficace, plus collaboratif, renforcer la confiance et l’engagement de leurs collaborateurs, contribuer à une meilleure qualité de vie au travail ; En synthèse donner au digital sa vraie place : être au service de l’Humain !

 

Bibliographie

  • Autissier, D., Johnson, K. J., Moutot, J.-M. (2014). « La conduite du changement pour et avec les technologies digitales ».
  • Charlin, L. (2017) «Intelligence artificielle : une mine d’or pour les entreprises».
  • Dejoux, C., Léon, E. (2018). Métamorphoses des managers à l’ère du numérique et de l’intelligence artificielle, Eds Pearson, 224 pages.
  • Dejoux, C. (2015). « Compétences digitales du manager : un chantier pour les entreprises ». Revue Personnel, p. 48-49.
  • Mallard, S. (2018). Disruption. Dunod, Paris.
Florence Jary
Florence Jary 

Présidente d’Axomega-Care.

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